dimanche 17 mars 2024

Cadeau pour un beau dimanche.

La Julia (1943)

I
Nous Lui demandions la pitié. Et Lui
nous donnait la mort.
Pas à nous. Non.
Pas à ce village,
mais à la jeunesse.
Et nous, au lieu
de Le blasphémer,
nous Le prions encore et regardons vers lui,
enluminé dans le Ciel, entouré de ses nouveaux jeunes,
nus, blessés, transis de froid.
Notre salut ne nous donne pas le droit d'oublier ces morts,
mais bien de les pleurer toujours
et d'en vouloir à la vie qui est en nous
parce qu'elle n'est plus en Eux.
Oui, il nous faut pleurer parce que nous avons leur gaieté.
Parce que nous respirons leur air.
Parce que nous voyons leur maison.
Parce que nous nous lavons dans leur ruisseau.
Parce que nous nous chauffons à leur soleil.

II
Nous devons payer notre note
à ceux que désormais plus rien ne peut consoler
et qui, par bonheur, ne nous entendent pas
si, soulagés, nous rions dans le monde.
Sombres, aveugles, pauvres, muets, nos jeunes morts,
vous nous regardez désormais du Ciel
comme un père
en colère regarde ses fils.
Ah, notre sacrilège
Gaieté
D’être encore vivants,
D’avoir sauvé notre vie
Grâce à votre mort !
Mais Lui se rit de vous,
Tandis que nous restons ici-bas
Avec notre vieux destin.
Et, parmi tous les péchés,
Nous faisons aussi celui de Le prier…

III
O Mère de Dieu, fais
en sorte qu’ils t’entourent contents
et frais et que rien dans le Ciel,
ni chants,
ni lumières,
ne consume leur chair vive de jeunes !
Qu’ils n’apprennent pas là-haut
A mépriser leurs lèvres,
Leurs yeux, leurs flancs, leur pétulance
D’enfants devenus hommes
Depuis peu de temps, dans ce village.
Qu’ils n’oublient pas, devant Ton Fils,
De rire les mains sur la bouche
Et de siffler assis sur les marches de l’autel.
Fais en sorte qu’ils t’honorent par leur bonté.
S’ils ne t’ont priée qu’un peu au Sanctus,
ils ont toujours, toujours fait comme ton Fils
au corps torturé par le soleil
et l’obscurité des fêtes des pauvres gens.
Que tes yeux ne s’abaissent pas
à regarder le péché qu’exhalent leur corps puissant
et leur innocent rire d’amour.
O Mère de Dieu,
si, après quelque averse de grêle,
une fraîche senteur de terre et de fumée
s’élève de ce village jusqu’au paradis,
fais qu’ils ne sentent pas dans leur cœur
le battement des cloches,
le vert des champs,
l’odeur de leurs vêtements.

Pier Paolo Pasolini
/ Poèmes oubliés / Actes Sud…p. 23 à 29 

Merci Maria Dolores !

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