mercredi 11 octobre 2023

A tous.

" ... Et la vie était la lumière des hommes ... "

1 commentaire:

  1. Muhammad se niche dans le giron de son père.
    oiseau apeuré par l’enfer du ciel :
    Protège-moi de l’envol, père
    car mes ailes sont encore petites pour le vent…
    et la lumière est noire.


    Muhammad
    supplie de rentrer à la maison,
    sans vélo… ou chemise neuve.
    Il voudrait retrouver le banc de l’école,
    le cahier de grammaire et de conjugaison :
    Emmène-moi à notre maison, père,
    que je prépare mes leçons
    et complète ma vie, petit à petit,
    au bord de la mer, sous les palmiers…
    rien de plus, rien de plus.


    Muhammad
    affronte une armée,
    sans pierres ou éclats de planètes.
    Il n’a pas fait attention au mur pour écrire :
    Ma liberté ne mourra pas.
    Il ne possède encore ni liberté pour la défendre
    ni horizon pour la colombe de Picasso.
    Il n’a pas fini,
    n'a pas fini de naître dans un nom
    qui lui fait porter la malédiction du nom.
    Combien encore naîtra-t-il de lui-même,
    enfant privé d’un pays…
    d'un temps pour l'enfance ?
    Où rêvera-t-il, si le rêve lui venait…
    quand la terre est plaie et temple ?


    Muhammad
    voit venir sa mort, inexorable.
    Mais il se souvient soudain d’une panthère à la télé,
    une panthère puissante tenant un faon à sa merci
    mais qui, s’en étant approchée,
    huma le lait et ne le dévora pas.
    Comme si le lait apprivoisait la bête sauvage.
    Moi aussi, j’en réchapperai,
    se dit le petit en pleurs
    car ma vie est là-bas,
    cachée dans l’armoire de ma mère.
    J’en réchapperai et témoignerai.


    Muhammad
    ange pauvre,
    à la portée du fusil de son chasseur de sang-ftroid.
    Une heure que la caméra capte
    chacun des mouvements du garçon
    qui se fond dans son ombre :
    Son visage, telle l’aube, est net.
    Son cœur, telle une pomme, est net.
    Ses dix doigts, telles des bougies, sont nets
    et la rosée, sur son pantalon…
    Son chasseur aurait pu y penser à deux fois,
    se dire :
    Je l’épargnerai
    en attendant qu’il sache épeler correctement
    sa Palestine,
    je l’épargnerai maintenant, en gage de ma conscience,
    et l’abattrai, plus tard, lorsqu’il se révoltera.



    Muhammad,
    sang superflu
    inutile aux prophètes,
    monte donc
    vers le jujubier céleste.
    O Muhammad !

    Mahmoud Darwich / Le lanceur de dés / Actes Sud ...p.87 à 89

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